Le mystère de la chambre 237

Au départ de ce présent documentaire un film qui, avec les années et l’aura de son réalisateur, a suscité autant de fascination que de fantasmes : The Shining.

Quand il décide d’adapter le livre éponyme de Stephen King, Stanley Kubrick a déjà derrière lui une filmographie qui impose autant de respect que d’admiration. Cinéaste méticuleux et perfectionniste, Kubrick donne de lui l’image d’un créateur omnipotent et omniscient, attentif au moindre détail. Un auteur, un vrai pour qui le cinéma n’est pas que posture et divertissement, mais surtout et avant tout un canal de transmission artistique.

327_1

Cette réputation couplée au rendu tant labyrinthique que foisonnant de l’adaptation ont fait naître autour du film une kyrielle d’interprétations, de (re)lectures parfois pertinentes mais souvent délirantes. C’est autour de quatre visions de « Shinologists » (néologisme que l’on doit au New York Times) que Rodney Ascher construit son documentaire.

Ce n’est pas tant la valeur congrue de ces interprétations qui importe ici, mais bien ce qu’elles révèlent. Qu’il s’agisse de voir dans Shining une métaphore du génocide indien, de l’Holocauste ou d’un quelconque complot américain n’a finalement que peu d’importance, la seule personne pouvant corroborer ces dires n’étant plus là pour en parler. Non. Ces démonstrations interprétatives agissent comme un révélateur non pas du film mais, au minimum du travail du réalisateur voire même du Cinéma en tant qu’Art.

Tous les intervenants partent du même postulat : Stanley Kubrick, en cinéaste de génie qu’il était, avait un contrôle total sur ses films. Aucune place au hasard – heureux ou malheureux – dans la composition de ses plans, dans le mouvement des acteurs ou du montage des séquences. Si l’on peut décemment penser que Kubrick était pointilleux dans la construction formelle qu’il donnait à ses films et à la place qu’il réservait à la symbolique, certaines « découvertes » apparaissent néanmoins comme farfelues et suscitent inévitablement plus de sourires que de réflexions. Mais bien malgré elles, ces suppositions soulèvent leur lot de questionnements sur la valeur intrinsèque des symboles, leur portée réelle et la part de subjectivité qu’on y projette.

237_2

Ici les intervenants n’apparaissent jamais à l’écran. Le documentaire est construit comme un assemblage de séquences du film entrecoupées d’extraits d’autres œuvres cinématographiques, principalement de Kubrick, qui rythment la narration fragmentée de Room 237. Cette mis en place formelle révèle plus d’intérêt qu’il n’y parait : bien plus qu’un décryptage objectif de Shining, ce que le réalisateur nous propose est avant tout une plongée dans l’inconscient créatif du cinéaste, une sorte de mise en abyme grandeur nature.

Au final, Room 237 traine dans son sillage plus de questions que de réponses : peut-on – ou doit-on – « craquer » tous les codes du film ? A quelle(s) fin(s) ? Peut-on réellement apprécier le film sans percer à jour toute sa symbolique ?  Mais peut-être est-ce là la volonté de Kubrick : questionner le public et le pousser à réinventer la réalité qu’il perçoit.  Car le cinéma ne doit pas être une prison, mais à l’inverse un stimulateur de perception.

Publié dans Cinéma / Nouveautés et autres en DVD, Blu-Ray | Tagué , , , , , | Laisser un commentaire

« Compliance », l’appel à l’obéissance

 

 

 

 

 

Dans une banlieue quelconque des Etats-Unis, un fast-food en plein rush. Sandra, la gérante, reçoit un appel téléphonique lui indiquant qu’une de ses employées est une voleuse.

ComplianceMême si le pitch de ce petit film indépendant laisse penser à une intrigue policière, il n’en n’est rien. Le réalisateur, Craig Zobel, nous emmène plutôt sur le terrain de la réflexion sur l’obéissance aveugle et la servitude à une pseudo autorité jugée digne de confiance.

Basé sur un fait divers réel, Compliance arrive à éviter astucieusement le piège du voyeurisme qui aurait dénaturé le propos. En multipliant les points de vue, en usant astucieusement des (dé)cadrages, Craig Zobel place le spectateur dans une situation d’inconfort, certes, mais ne le rend jamais complice de ce petit jeu pervers.

Ce quasi huis clos aux dialogues intelligents est une sorte de variation moderne de l’expérience de Milgram, le côté scientifique en moins.

 

 

Publié dans Cinéma / Nouveautés et autres en DVD, Blu-Ray | Tagué , , , , | Laisser un commentaire

Metal Hurlant Chronicles

En 1975, un jeune critique et scénariste du nom de Jean-Pierre Dionnet lance avec quelques amis (dont Moebius et Philippe Druillet) une nouvelle revue trimestrielle de science-fiction : « Metal hurlant ». Durant plus de 10 ans, ce magazine va publier des histoires diverses et variées, bénéficiant de la collaboration d’auteurs déjà reconnus (Enki Bilal, Marcel Gotlib) ou de jeunes auteurs prometteurs (Denis Sire par exemple). Le succès est tel que la revue donnera naissance à un homologue américain (« Heavy metal ») qui inspirera directement deux films : « Heavy metal » (1981) et « Heavy metal 2000 » (1999).

La série « Metal hurlant chronicles » dont il est question ici est une coproduction franco-britannique qui se présente sous la forme d’une anthologie (une série dont les épisodes sont, narrativement parlant,  totalement indépendants, à la manière d’un « Twilight zone« ) de 6 épisodes pour la première saison. Le but était donc d’adapter en 26 minutes chrono quelques unes des nouvelles dessinées présentées dans la revue. Si visuellement le résultat est crédible et rassurant (au vu du budget plutôt serré), on peut cependant émettre quelques réserves concernant le passage des planches à l’écran. Certes la tâche n’était pas aisée, mais le canevas temporel impose hélas quelques longueurs inutiles.

On peut malgré tout se réjouir de voir la France produire ce genre de série (anthologie) dans un domaine qu’elle n’a que très peu pratiqué (la S-F). Un casting international, des histoires qui ont déjà fait leurs preuves et des ambiances assez proches de la revue originale, voilà de quoi rassurer les fans de la première heure. On retrouve ici les différents univers déjà dépeints par la bande à Dionnet : anticipation, Heroic fantasy, S-F,… Le tout compilé en 6 épisodes certes inégaux, mais non dénués d’intérêt.

Peut-être la seconde saison saura-t-elle gommer les imperfections de ce galop d’essai au demeurant divertissant. Espérons-le…

Publié dans Cinéma / Nouveautés et autres en DVD, Blu-Ray | Tagué , , , , | Laisser un commentaire

En combinaison dans l’espace : entre science et fiction

Depuis ses origines, le cinéma a toujours su donner à la conquête spatiale une place de choix. Mais qui dit voyage interstellaire, dit combinaison de vol. Et c’est ici que l’imagination prend le relai…

Le voyage dans la lune [version colorisée] (1902)

Tout le monde ou presque connait le désormais célèbre « Voyage dans la Lune » de Georges Méliès. Réalisé en 1902, ce court métrage est sans doute le premier à mettre en scène un « spationaute ». Le professeur Barbenfouillis en question ne s’embarrasse pas de matériel superflu pour sa virée lunaire. Une simple redingote et une chapeau feront amplement l’affaire. Quelques années plus tard, Edison n’encombre pas d’avantage son héros (« A trip to Mars », 1910) qui fera d’ailleurs le voyage… sans fusée ni vaisseau.

Bien sûr ces deux exemples n’ont aucune prétention scientifique (que du contraire), pas plus d’ailleurs que le magnifique « Aelita » de Jacob Protazanov (1924). Le voyage spatial relève plus d’un geste symbolique, onirique que d’un quelconque souci d’authenticité. Citons encore « Himmelskibet » (1918) du danois Holger-Madsen où le réalisateur a tout de même pensé à équiper ses cosmonautes d’un casque d’aviateur en cuir.

Himmelskibet (1918)

Fritz Lang est peut-être le premier à doter ses personnages de combinaisons « adaptées » (fortement inspirées des scaphandres). Dans « Frau im  Mond » (1929), c’est bien équipés que les voyageurs arrivent à destination, même si c’est pour enlever leur combinaison une fois sortis de leur vaisseau…

Dans les années 50, la crédibilité scientifique s’immisce un peu plus au cinéma. Ainsi dans « Rocketship X-M » (1950), le réalisateur a-t-il pensé à munir ses cosmonautes de masques à oxygène (et de vestes en cuir). Dans le docu-fiction d’anticipation « Doroga k Zvezdam » (1958), on peut voir des astronautes munis de combinaisons assez crédibles qui rappellent un peu celles imaginées par Hergé dans « Objectif Lune ».

Rocketship X-M (1950)

Cette volonté d’authenticité trouve sa justification dans la course à l’espace que se lancent l’Union soviétique et les Etats-Unis à cette même période. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les deux puissances ont en effet multiplié les programmes spatiaux. Pour rappel, le satellite Spoutnik était lancé dans l’espace en 1957 alors qu’en 1960, Youri Gagarine était le premier homme à voyager dans l’espace.

Marooned (1969)

Les cinéastes des années 60 et 70 vont poursuivre cette recherche du détail comme en témoignent par exemple les combinaisons du film « Marooned » (1969).

Les sommes allouées à la création des costumes (et des décors) prennent de plus en plus de place dans les budgets des films et les designers, tout en respectant certains critères scientifiques (ou perceptibles comme tels), se laissent aller à des confections qui se tournent vers un futur idéalisé (ou pas). Ainsi, les costumiers de Kubrick pour « 2001 a space odyssey » (1968) imaginent des combinaisons colorées, une idée que l’on retrouvera par la suite dans le film « Outland » (1981) ou dans le « Star Trek zero » (2009) de J.J. Abrams. Les décennies suivantes vont poursuivre dans cette même veine créatrice en offrant aux spectateurs quelques créations parfois plus surprenantes que réussies. Voici quelques exemples parmi les plus… innovants.

Red Planet (2000)

Sunshine (2006)

Doctor Who (2011)

Stargate Universe (2009)

Prometheus (2012)

Publié dans Cinéma / Nouveautés et autres en DVD, Blu-Ray | Tagué , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | 1 commentaire

Bellflower, les feux de l’amour

Si l’amour est un monde en soi, alors l’apocalypse en est une éventualité.

Bellflower a tout du film générationnel façon Doom generation ou Trainspotting. Il porte en lui cette nonchalance adolescente capable de toucher un public tout acquis à sa cause et donc – conséquence logique – d’en écoeurer d’autres qui n’y verraient qu’une vaste fumisterie « branchouille ».

L’histoire, pour originale qu’elle soit, est d’une simplicité toute nécessaire : obnubilés par l’idée d’une apocalypse imminente, deux amis se lancent dans la conception d’un lance-flamme. Mais l’amour passe par là. Bellflower est une variation pré-post-apocalyptique sur le thème inusable de l’amour, le vrai, celui qui se termine toujours mal.

Structuré en sept chapitres qui s’articulent eux-mêmes de façon peu conventionnelle, faussement linéaire, Bellflower ne cherche pas à singer l’onirisme d’un Lynch ou la cool attitude d’un Tarantino. Chaque choix esthétique, narratif se veut la caisse de résonance d’un récit viscérale et romanesque. Même l’abondance (voire la surenchère) de musique pop traduit au mieux cette saturation émotionnelle.
Si cette simple histoire d’amour ratée ne se veut nullement le porte-parole d’une certaine jeunesse désabusée, elle réussit malgré tout à fédérer une audience qui y trouvera un écho à ses propres souffrances, vécues ou fantasmées. Même si l’idée d’un monde apocalyptique façon Mad Max (une référence clairement affichée) est expressément énoncée, il serait malvenu d’évoquer un quelconque nihilisme post-adolescent. L’histoire ici contée évoque bien plus une douleur intime qu’un pessimisme de pacotille.

Projet de longue haleine réalisé avec deux francs six sous, Bellflower est avant tout une affaire de bricolage. Ainsi Evan Glodell a-t-il utilisé pour tourner une caméra qu’il avait lui-même conçue. Réminiscence consciente de ce qu’a du être la préproduction du film, l’élaboration du lance-flamme, la remise à neuf de la Medusa (la voiture gonflée à la testostérone) se fait à partir de pièces chinées et d’un bonne dose d’huile de coude. Sans en être le sujet du film, cette débrouillardise – matérielle et humaine – reflète assez bien l’idée une certaine jeunesse précarisée pour qui le seul futur envisageable est un monde à reconstruire.

Dans Bellflower, tout se consume ; l’amour, les souvenirs, la peine. Tout doit s’embraser pour renaître tel un phœnix. Purificateur, assainissant ou révélateur, le feu, malgré sa symbolique destructrice, appairait ici comme l’élément essentiel au renouveau tout en évoquant bien entendu une force dévastatrice sans égal.

Plus qu’un simple exercice de style visant à s’attirer les faveurs d’une jeunesse désabusée, ce premier film d’Evan Glodell s’inscrit dans une logique du sentiment exacerbé. De ceux qui ne savent tricher ou travestir le mensonge en hymne d’une génération.

Publié dans Cinéma / Nouveautés et autres en DVD, Blu-Ray | Tagué , , , , , , , , | 1 commentaire

Le journal de David Holzman, le mensonge 24 fois par seconde

Si le nom de Jim McBride semble aujourd’hui tombé dans l’oubli, il reste cependant associé à l’un des films les plus importants des années 60. Présenté non sans raison comme le premier mockumentary (ou documenteur) de l’histoire,  « Le journal de David Holzman » est bien plus que le père fondateur d’un genre largement exploité depuis lors. En mettant en exergue la désormais célèbre phrase de Jean-Luc Godard (« Le cinéma, c’est la vérité 24 fois par seconde »), McBride dévoile sa volonté et l’objet de son discours : quelle est la part de réel et de vérité dans ce qui est montré par le cinéma ?

Pour bien saisir toute la portée d’une telle démarche, il faut replacer le film dans son cadre cinématographique : réalisé en 1967, il apparaît comme le parfait contrepoint au cinéma direct (ou cinéma-vérité) alors en plein essors. Pour la plupart des spectateurs qui ont vu le film à sa sortie, il était difficile de savoir s’il s’agissait d’un documentaire ou d’une fiction. Comme pour renforcer ce sentiment (et ce qui apparait in fine comme une mise en abîme), McBride débute son métrage en présentant son « matériel » (caméra, enregistreur,…), ce fitre qui convertit le réel en fiction.

On pourrait penser que Jim McBride se pose en antithèse du cinéma direct. S’il est vrai qu’il prend un malin plaisir à déconstruire les convictions des cinéastes qui se revendiquent de cette mouvance, ce n’est que pour en renforcer la portée et apporter au mouvement une dimension nouvelle : le cinéma direct ne se pose plus uniquement en miroir de la vérité, mais devient également un objet de réflexion sur le réel, sur le cinéma.

Cette petite bribe de conversation se suffit à elle-même :

D.A. Pennebaker (réalisateur précurseur du cinéma-vérité) : « You killed cinéma-vérité » (« Vous avez tué le cinéma-vérité »)

Kit Carson (scénariste et acteur du « Journal de David Holzman » : « Truthmovies are just beginning » (« Il ne fait que commencer »).

Cinéphile avertit (il était une assidu de la Filmaker’s Cinematheque de Jonas Mekas), Jim McBride fait appel à des références filmiques variées : outre la célèbre tirade de Godard qui sert de porte d’entrée à son discours, on peut constater l’influence d’un Hitchcock (dont une affiche de film orne un mur du bureau de David holzman) qui s’est beaucoup interessé au voyeurisme dans sa carièrre et bien évidemment au « Peeping Tom » de Michael Powell qui explore comme nul autre film l’intrusion d’une caméra dans un espace privé, intime.

Cette articulation autour du rapport réel/vérité n’est pas sans rappeler bien évidemment le travail que Peter Watkins a entrepris notamment avec ces films « The War game » et « Punishment Park ». Plus proche de nous, le récent « Pater » d’Alain Cavalier emprunte lui aussi ces chemins troubles entre fiction et documentaire, cet interstice entre ce qu’il faut croire et « ce qui est » pour questionner le spectateur sur son rapport aux images et leur portée.

Outre ce premier essai historique, Jim McBride a réalisé dans la foulée « My girlfriend’s wedding« , sorte de double négatif de son documenteur dans lequel il filme sa compagne qui lui raconte sa vie passée.  Le reste de sa carrière est par contre moins captivant avec entre autres une adaptation décevante du film « A bout de souffle » de Godard, le très léger « Great balls of fire! » et quelques contributions télévisuelles (dont un épisode de la série « Six feet under »).

Publié dans Cinéma / Nouveautés et autres en DVD, Blu-Ray | Tagué , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Laisser un commentaire

Two gates of sleep : la parole au silence

Premier long métrage de son réalisateur, « Two gates of sleep » cultive une économie de moyens qui n’est qu’apparente. Alistair Banks Griffin confine son film au strict nécessaire (les silences, les émotions et la mort) pour en retirer la moelle essentielle.

Nouveau venu dans le camp d’un certain cinéma indépendant américain, « Two gates of sleep » est un film que l’on peut qualifié d’habité. Par l’influence d’illustres prédécesseurs cinéastes, sans doute. Mais aussi et surtout d’une « matière » dense et foisonnante, visuelle, sonore., physique.

Si les références semblent nombreuses, il serait injuste d’enfermer ce voyage initiatique à l’ombre des Malick ou Van Sant. Certes on retrouve ici l’importance du cadre naturel et le souci apporté aux personnages – masculins. Difficile aussi de faire l’impasse sur ces longs plans qui rappelle « Gerry » ou « Elephant ». Mais sans renier ses influences (et le réalisateur de citer le cinéma français ou japonais des années 60), le jeune cinéaste affirme bien fort ses singularités.

« Two gates of sleep » est avant tout une aventure sensorielle riche et captivante. Usant de tous les stimuli possibles, Alistair Banks Griffin plonge littéralement le spectateur dans les abîmes émotionnels de son film. L’odeur de la viande fraiche, une main qui la découpe habilement, la vision crue des viscères machinalement nettoyé… Dès les premières images, impossible de ne pas se projeter au-delà de l’écran. De la même façon, l’habillage sonore du film alterne les silences profonds avec une forme de chaos bourdonnant, donnant aux images un éclairage nouveau.

Si l’idée de départ se résume en quelques mots (deux frères partent enterrer leur mère loin de la civilisation), elle révèle par ailleurs une réflexion vivante sur les émotions des protagonistes et la difficulté à les verbaliser. De ce fait, peu (ou pas) de dialogues. Quelques phrases éparses, le seul véritable échange se faisant avec un interlocuteur hors champs. Peu de mots donc, mais des éléments omniprésents : eau, feu, terre, air apparaissent sous bien des formes et stimulent les sens du spectateur jusqu’à devenir un langage propre et mettre en lumière toute cette part d’intériorité retenue. Le cinéma de Jeff Nichols n’est pas loin…

A bien des égards donc, ce premier long métrage est un film élémentaire et humain qui ne se contente pas de traiter d’un sujet donné, mais le fait vivre et ressentir comme une interaction nécessaire et vitale.

Déjà auteur de deux courts métrages, Alistair Banks Griffin semble bien parti pour devenir le digne représentant d’un certain cinéma d’auteur américain que l’on voudrait plus fécond.

Publié dans Cinéma / Nouveautés et autres en DVD, Blu-Ray | Tagué , , , , , , , , | Laisser un commentaire

Héros et voitures : en mode super… ou pas

De Pégase à Tornado en passant par Bayard ou Rossinante, les Héros ont toujours pu compter sur leur destrier pour les seconder dans leurs tâches les plus ardues. Révolution industrielle oblige, les chevaux se sont mus en montures mécanisés sans pour autant perdre leur rôle de compagnon indéfectible, que du contraire.

À pied, à cheval ou en voiture

 Si nos héros, super ou non, ont pour la plupart besoin d’un moyen de locomotion, leur statut les oblige à s’équiper à la hauteur de leur rang. Ainsi il est peu probable de croiser l’un de ces sauveurs de l’humanité au volant – ou aux rennes – d’un véhicule d’une quelconque banalité. Il serait d’ailleurs amusant de savoir si certains d’entre eux auraient eu le même succès sans leur monture entre toutes reconnaissable. « L’Agence tous risques »  n’est-elle pas indissociable de son célèbre van GMC Vantura ? Et Michaël Knight aurait-il pu sortir de l’anonymat sans sa très américaine Pontiac Firebird ?

Bien entendu la voiture ne fait pas l’homme. Mais elle apparait comme un prolongement logique de celui-ci. Une sorte de relation fusionnelle les unit, faisant de l’un le complément naturel de l’autre, voire son double parfait.

Les Aston Marton suréquipées de James Bond au charme so british sont comme l’alter ego motorisé de l’agent secret alors que KITT compense par son équipement high tech le manque de super aptitude de son chauffeur.

Difficile d’imaginer l’homme derrière le héros sans la machine. Les rapports entre l’humain et sa monture ont évolué, certes, comme transfigurés par la modernité galopante, mais tendent bizarrement à rendre aux héros une certaine forme d’humanité normalisante.

D’une voiture à l’autre

Les voitures sont le reflet de leur conducteur, mais, au cinéma tout du moins, elles s’inscrivent également dans un contexte plus global. Il n’est donc pas rare de voir certains de ces véhicules évoluer au fil des époques et des réalisateurs.

Un des exemples les plus parlants est celui de la célèbre Batmobile. La franchise Batman a été revisitée à maintes reprises au cours des dernières décennies avec des résultats fort variés. Tout le monde se rappelle de la kitschissime série des années 60 avec Adam West dans le rôle titre. Plus parodique qu’axée sur l’action, la série voyait apparaitre la première Batmobile de tôle et d’écrous sous les traits d’une Lincoln Futura remaniée qui s’avère sans doute être la seule once de bon goût de ce portage télévisuel. Plus de 30 ans plus tard, Tim Burton donne quant à lui une version plus sombre et gothique où la Batmobile se veut plus élancée et d’un beau noir profond. Quelques années plus tard, c’est à Joel Schumacher que revient l’honneur de donner sa vision de l’univers de Batman. Une esthétique qui tranche radicalement avec celle de son prédécesseur. Toute en couleurs et en surenchère visuelle, Gotham City abrite dès lors une Batmobile fort peu discrète affublée de néons et couleurs criardes. Tout récemment, Christopher Nolan vient de clore sa trilogie du Chevalier noir. Le cinéaste britannique ancre quant à lui son récit dans un univers bien plus réaliste et pessimiste. L’équipement du Batman suit la même évolution et l’on peut apercevoir une Batmobile bien plus massive et moins glamour. Surnommé « Tumbler », ce véhicule est plus proche de l’engin militaire blindé que de la voiture de plaisance.

À chaque univers son modèle et ses priorités donc. Mais il existe aussi des constantes dans le changement. En 50 années de vie cinématographique, l’agent 007 a toujours su s’équiper de voitures à son image. Les modèles ont changé, évolué mais en gardant toujours la même optique : gadgets, classe et sobriété. Des Aston Martin en passant par les Bentley ou les plus récentes BMW, James Bond a toujours privilégié la belle tenue classique aux modèles tape à l’œil. Un choix qui va de paire avec sa retenue toute britannique.

Super, ordinaire… ou pas 

Tout le monde n’a pas la chance d’avoir une voiture hyper équipée, dotée d’un arsenal militaire ou d’une carrosserie pare-balle. Cela ne les rend pas moins reconnaissable d’entre toutes et chère au cœur de leur propriétaire. Pour s’en convaincre, il suffit d’admirer la magnifique Cadillac des Ghostbusters (baptisée affectueusement Ecto-1). A l’image de ses propriétaires, elle ne paie pas de mine mais s’avère un soutien indéfectible dans la tâche qui lui incombe.

Le fameux van GMC de l’Agence tous risques (en fait la propriété du producteur de la série) n’est certes pas aussi extraordinaire que d’autres véhicules du petit écran, mais difficile d’imaginer nos fugitifs réaliser leurs prouesses à bord d’une autre voiture.

Dans le même ordre d’idée, le 4X4 de Colt Seavers caractérise à lui seul toute la finesse dont fait montre son cascadeur de conducteur. Et point besoin d’artifices pour se faire reconnaitre.

George Barris, concessionnaire de luxe

Mais où diable peut-on se procurer ces véhicules d’exception ? Certainement pas dans une concession de banlieue. Non, car ces monstres roulants sont des pièces uniques, des œuvres pour la plupart issues de l’imaginaire d’inconnus du grand public. L’un de ces plus illustres travailleurs de l’ombre mérite qu’on lui consacre quelques lignes.

Le nom de George Barris ne vous dit certainement rien et pourtant vous avez sans doute pu admirer son travail. Le bonhomme est en effet le papa de quelques véhicules de renom. Le Général Lee (la Dodge Charger de  « Shérif, fais-moi peur »), la Batmobile version 1966 (celle de la série avec Adam West), la DeLorean à voyager dans le temps, la Ford Gran Torino de Starsky ou encore le 4X4 de Colt Seavers et bien c’est lui. Un C.V. impressionnant qui s’étale sur près de quarante années de collaboration cinématographique.

Publié dans Cinéma / Nouveautés et autres en DVD, Blu-Ray | Tagué , , , , , , , , | 6 commentaires

Patterns, schémas d’entreprise

Le célèbre créateur de la tout aussi réputée série  Twilight zone n’a pas toujours donné dans le genre fantastique, domaine où il excelle. Car c’est avant tout un scénariste hors pair capable d’insuffler à ses histoires une tension dramatique hors normes tout en posant un regard très critique et inhabituel pour l’époque sur la société de son temps. Patterns, où comment l’essor du capitalisme pousse les hommes dans les derniers retranchements de leur propre humanité.

Quand, en 1954, Rod Serling écrit pour la télévision le scripte de Patterns, il est loin de se douter des retombées qu’allait générer la diffusion du téléfilm. Car à la base, Patterns est un drama télévisuel, tourné et joué en « live » pour une diffusion sur le petit écran. Sa diffusion allait susciter un tel engouement critique et public, que Serling allait se voir proposer d’adapter son scénario pour le grand écran. Et c’est avec la quasi-totalité de l’équipe originale qu’il allait s’atteler à écrire une version étendue de son histoire.

À la réalisation, on trouve Fielder Cook qui, s’il n’a pas eu la même renommée que certains de ses contemporains comme Sidney Lumet, n’en demeure pas moins une valeur sûre de la mise en scène pour le petit écran. Sans artifices superflus, il transcrit parfaitement la tension palpable imaginée par Serling en jouant sur les répétitions (de lieux notamment) et le gigantisme oppressant des couloirs de l’entreprise. Si cette version cinéma s’offre plus de liberté que dans la version initiale (quelques plans en extérieur, des décors supplémentaires), elle en garde par contre une forme de modestie formelle, jouant sur l’apparente simplicité de ses attributs pour marteler son discours et sa frénésie.

Le terme « Patterns » pourrait se traduire par l’équivalent français « motifs » ou « modèles ». Et c’est bien de cela dont il est question ici ; l’entreprise dont il est question ici n’est pas montrée comme un cas isolé, mais bien comme un modèle plus universel. De la même façon, les situations, les propos tenus, les employés et cadres tendent à se fondre dans des moules bien définis qu’accentuent encore l’architecture bien structurée aux motifs redondants.

La notoriété toute récente acquise par Serling va lui ouvrir les portes de la renommée. Estimant que sa créativité était brimée par les velléités castratrices des annonceurs publicitaires, il va créer son propre programme (Twilight zone) où, sous le couvert d’histoires fantastiques ou d’anticipation, il va pouvoir écouler ses messages (souvent pessimistes) sur la société sans craindre la censure.

Publié dans Cinéma / Nouveautés et autres en DVD, Blu-Ray | Tagué , , , , , , , , , | Laisser un commentaire

Peter Watkins, pervertisseur de formes

Admettre une contrefaçon c’est accepter une manipulation potentielle. Mais c’est oublier un peu vite ce qui peut se cacher derrière cette démarche perçue trop souvent comme uniquement trompeuse. Ainsi ce que l’on considère comme un vulgaire faux peut n’être qu’une réinterprétation d’une réalité donnée pour acquise. Dès lors, et c’est bien là toute la pertinence d’une telle démarche, cette vision neuve (fausse ?) d’un matériau préexistant agit comme un révélateur d’un pan de vérité initialement occulté.

 Dans l’œuvre de Peter Watkins, essayer de dissocier le vrai du faux est en soi un non sens. Non pas que la tâche soit en elle-même trop ardue pour en venir à bout, mais parce qu’elle ne relève que d’intérêt secondaire. Tout au long de son œuvre, le cinéaste anglais s’est concentré à détourner sciemment la forme documentaire et son concept de « vérité absolue » qu’on lui adjoint souvent maladroitement. Car si interrogation il doit y avoir sur l’œuvre du réalisateur, c’est sur la place moins évidente qu’occupe réalité et vérité dans ses films.

Produit par la BBC en 1965, The war game, sorte d’anticipation documentarisée sur les ravages dus à une attaque nucléaire à l’encontre de l’Angleterre, joue subtilement sur les rapports étroits et primordiaux entre ces deux concepts. Watkins croise habilement fiction et documentaire en reconstituant des scènes de panique plus vraies que nature et, à l’inverse, fictionnalise des propos pourtant bien réels tenus par des représentants politiques ou religieux d’alors. Cette démarche peu habituelle a deux raisons d’être : d’une part permettre au public de ne pas trop s’impliquer émotionnellement dans le film et d’autre part de le pousser à la réflexion sur la différence fondamentale entre le réel, le vraisemblable et la vérité. Plus qu’une réflexion sociopolitique sur son époque, The war game va définir les bases du discours de Watkins sur les médias et la manipulation qu’ils peuvent exercer.

Quelques années plus tard, alors établi aux Etats-Unis, il réalise Punishment Park, sorte d’anticipation politique où les opposants au régime de Nixon sont jugés par un tribunal civil extraordinaire. Ici le contrepoint narratif est établi par un montage parallèle qui met en regard les scènes du tribunal avec celle du Punishment Park (la sentence alternative imaginée par le réalisateur). Cette nouvelle réalisation fictionnelle montrée à la façon d’un documentaire, bien que moins facilement identifiable comme fictive, porte un regard très critique sur les médias et sur le concept de téléréalité. Sous ses dehors manipulateurs, Watkins creuse le rapport du spectateur à l’image et la place de celui-ci dans le « spectacle audiovisuel ».

De la forme documentaire, Watkins ne croit qu’en la représentation flatteuse que l’on en a : un sentiment mêlé d’authenticité et de réalité objective. Watkins induit régulièrement le spectateur à une forme d’ambigüité salvatrice. Ainsi dans Edvard Munch (1974), ce qu’il considère comme son film le plus personnel, le cinéaste s’attache à dépeindre une période méconnue de la vie du peintre dans une œuvre une fois de plus hybride où le travail minutieux de documentation s’exprime dans une forme filmique usant à la fois de procédés propres à la fiction et au documentaire. Cette approche didactique du rapport film/spectateur (comment amener le spectateur à s’interroger sur ce qu’il voit) est une fois de plus l’élément central, prenant presque le pas sur la valeur biographique du film.

Plus complexe encore, Le libre penseur (basé sur la vie et l’œuvre d’August Strindberg) utilise des matériaux divers (photos d’archives, scènes de fiction, lectures de textes du poète,…) et propose une narration non linéaire et peu orthodoxe. Une fois de plus, il met à profit l’œuvre – et son créateur – qu’il expose pour (dé)construire la sienne. Loin d’être des naturalistes convaincus, les deux artistes susmentionnés étaient plutôt adeptes de formes nouvelles d’expression mettant à contribution les « récepteurs » potentiels.

 À l’instar de Munch et Strindberg, Watkins entretient un rapport étroit avec le spectateur. Dès Culloden (1964), il entreprend de briser ce « quatrième mur » (sorte de ligne de démarcation entre les spectateurs et les acteurs) afin d’impliquer le public pleinement dans le processus de réception médiatique. Bien des années plus tard, il reprendra ce procédé dans La Commune (1999) où le procédé filmique est mis à nu. De la sorte, le spectateur devient lui-même un rouage actif du projet tout en étant débarrasser des effets superflus de dramatisation propres à un certain cinéma.

 Peter Watkins s’en prend régulièrement à cette forme unique (la Monoforme) qui structure le cinéma mondiale et n’a de cesse que de corrompre ce qu’il considère comme un schéma tant abrutissant que rassurant. Cette forme de perversion qu’il introduit volontairement dans son œuvre (ou plutôt qui la structure) n’a de cesse d’induire au questionnement et au débat public. Complexe et complète, l’approche filmique du cinéaste, que ce soit sur le fond ou sur la forme, ne fait que peu de concessions et se vit comme une expérience totale à la fois cinématographique et sociopolitique.

Publié dans Cinéma / Nouveautés et autres en DVD, Blu-Ray | Tagué , , , , , , , , , | Laisser un commentaire